Quand les conditions deviennent trop difficiles, des bactéries tissent entre elles des nanoconducteurs qui leur servent à transporter des électrons, c'est-à-dire, sans doute, à respirer. Un nouveau champ d'investigation s'ouvre pour les microbiologistes...
Les bactéries ont inventé les nanoconducteurs et les réseaux. C'est ce qu'ont découvert les microbiologistes depuis plusieurs années. Lorsqu'elles s'organisent en biofilms, de nombreuses bactéries se dotent de filaments, parfois très longs, qui s'insinuent dans le substratmétabolisme des bactéries. et qui peuvent aussi relier entre elles de multiples cellules. On soupçonne une activité électrique le long de ces minuscules fils et on parle d'ailleurs de « nanoconducteurs bactériens ». Une équipe de l'université de Californie du sud, menée par Mohamed El-Naggar, vient pour la première fois de démontrer sans ambiguïté qu'il s'agit bien de conducteurs électriques, qu'ils font transiter des électrons et que ce courant est lié au L'équipe s'est penchée sur Shewanella oneidensis MR-1, un micro-organisme connu, objet de l'attention de nombreux microbiologistes qui ont même créé pour lui la Fédération Shewanella.
Les bactéries vivent sur une surface parcourue de nanoélectrodes en platine et font croître de longs filaments, qui conduisent effectivement l'électricité. © Mohamed El-Naggar et al. / Pnas
Cette bactérie a la faculté de vivre indifféremment en milieu aérobie (en présence d'oxygène, donc) et en milieu anaérobie. Comme tout organisme, elle respire en donnant des électrons (en « réduisant », au sens chimique du terme) à un atome qui les accepte facilement : de l'oxygène quand il y en a ou bien un métal comme le fer. En période de disette, Shewanella forme de nombreux filaments, qui se prolongent très loin et sont constitués de protéines. En 2008, l'équipe de Mohamed El-Naggar avait mis en évidence leurs curieuses propriétés électriques. La résistance électrique semblait varier avec la tension à laquelle ils étaient soumis et ce, de manière discontinue, suggérant des mécanismes chimiques. Mais il restait à prouver que ces longs filaments conduisaient effectivement de l'électricité d'un bout à l'autre.
Échanges électriques:
Pour cette nouvelle expérience, les microbiologistes ont fait croître des Shewanella dans un milieu pauvre, provoquant en réaction une forte production de filaments. Ces bactéries hirsutes ont ensuite été placées sur une surface parcourue de nombreuses nanoélectrodes. En plusieurs endroits, des filaments reposaient sur deux de ces petites électrodes. Comme des électriciens mesurant une résistance, les chercheurs ont pu ainsi mesurer finement la conductivité, qui est de l'ordre de celle d'un semi-conducteur. En coupant le filament entre deux nanoélectrodes, les biologistes observent bien une interruption du courant.
Mieux, les chercheurs ont pu mesurer ces échanges d'électrons en de multiples endroits. « Les flux d'électrons dans les différentes directions sont intimement liés à l'état du métabolisme en différents endroits du biofilm », résume Mohamed El-Naggar. CQFD : ces filaments conduisent bien un courant électrique qui se propage de bactérie à bactérie et ces échanges ont quelque chose à voir avec le métabolisme.
Pour les auteurs de l'article, paru dans l'édition en ligne des Pnas, ces filaments transmettent des électrons, ce qui constitue une forme de respiration. Les bactéries qui ne trouvent pas autour d'elles d'accepteurs d'électrons peuvent tout de même respirer grâce à ces filaments. « C'est une respiration collective » conclut Mohamed El-Naggar.
Une telle idée n'est pas nouvelle : au début de 2010, Lars Peter Nielsen et ses collègues découvraient dans la baie d'Aarhus des bactéries vivant enfoncées dans les sédiments jusqu'à une profondeur (plus d'un centimètre) où l'oxygène pénètre mal. Au laboratoire, quand l'eau était brutalement appauvrie en oxygène, les bactéries de surface changeaient rapidement leur métabolisme pour s'adapter à cette nouvelle situation. En profondeur, les bactéries faisaient de même en un temps très court. La réaction était si rapide que les chercheurs danois ont fait l'hypothèse d'une transmission d'information par voie électrique empruntant les filaments reliant les bactéries entre elles dans toute l'épaisseur du sédiment.
Transmission d'information ou respiration collective : le rôle de ces filaments, qui semblent assez communs dans le monde bactérien, reste mal compris. Mais ces découvertes ouvrent des perspectives scientifiques assez fascinantes pour mieux comprendre les bactéries, décidément surprenantes...
Par Jean-Luc Goudet, Futura-Sciences