Les cellules du micro-environnement  où sont immergées les cellules cancéreuses s'autodigèrent-elles pour  favoriser la croissance des cellules cancéreuses ? Une nouvelle théorie  le suggère.
   Tumeur du sein au microscope. Les cellules cancéreuses (en violet) sont  entourées de tissu conjonctif (en rose et rouge), partie  essentielle du stroma.
Dans les tumeurs cancéreuses  épithéliales, les cellules anormales sont entourées d'un tissu, le  stroma, formé de cellules de soutien, des fibroblastes modifiés,  infiltrés de vaisseaux sanguins qui apportent les sucres, les acides  aminés et l'oxygène nécessaires à la croissance de la tumeur. Il est  bien établi que ce stroma participe au maintien des tumeurs. Mais  jusqu'à quel point ? L'équipe de Michael Lisanti, de l'Université Thomas  Jefferson, à Philadelphie, propose une idée iconoclaste : en  s'autodigérant sous l'influence des cellules cancéreuses, et en  fournissant ainsi à ces dernières des nutriments et de l'énergie, les  cellules stromales serviraient de carburant à la croissance tumorale.
Les cellules cancéreuses, même  alimentées en oxygène par la circulation sanguine, ont un métabolisme  énergétique différent des cellules normales. Pour produire de l'énergie,  sous forme d'ATP (adénosine triphosphate), elles transforment le  glucose en lactate par une série de réactions chimiques qui constituent  la glycolyse. Elles produisent ainsi deux molécules d'ATP par molécule  de glucose consommée, et cela malgré la présence d'oxygène. En revanche,  la plupart des cellules normales utilisent l'oxygène pour produire leur  ATP dans des organites nommées mitochondries, par un mécanisme nommé  phosphorylation oxydative : le glucose est d'abord transformé dans le  cytoplasme en pyruvate, qui entre dans les mitochondries où il subit un  cycle de transformation en énergie et en dioxyde de carbone.
Ainsi, l'absence de respiration observée  dans les cellules cancéreuses s'expliquerait par une reprogrammation  métabolique décrite en 1924 par le chimiste allemand Otto Warburg, prix  Nobel en 1931. L'importance physiologique de cet « effet Warburg » est  toutefois controversée, car certaines tumeurs apparaissent capables de  respiration mitochondriale ; le métabolisme énergétique varierait selon  le type de tumeurs, voire selon leur stade d'évolution, les gènes qui y  sont exprimés et le micro-environnement tumoral.
En outre, Michael Lisanti et ses  collègues suggèrent qu'en fait, l'effet Warburg a lieu non pas dans les  cellules cancéreuses, mais dans les cellules du stroma, selon un « effet  Warburg inverse ». Le déclencheur serait une mutation qui empêche la  synthèse d'une protéine des fibroblastes, la cavéoline 1. L'absence de  cette protéine est associée à un mauvais pronostic chez les patients  atteints de cancer du sein ou de cancer de la prostate.
D'après les analyses réalisées sur des  tissus de souris rendues incapables de produire la cavéoline, l'équipe  de Philadelphie suggère le mécanisme suivant : l'absence de la cavéoline  1 activerait la production de métabolites, tel l'ADMA (diméthylarginine  asymétrique), qui entraîneraient un stress oxydatif, c'est-à-dire la  production de molécules oxydantes, tels les radicaux libres. Les  cellules cancéreuses induiraient aussi directement un stress oxydatif  dans les cellules stromales voisines, dont une des conséquences serait  la perte de cavéoline. Le stress oxydatif endommagerait les  mitochondries, poussant les cellules stromales à les « digérer »  (mitophagie) et à se digérer (autophagie). Cette digestion serait  facilitée par la surproduction d'un facteur chimique, HIF1-alpha (hypoxia  factor 1), elle-même stimulée par celle d'un microARN sous l'effet  du manque de cavéoline. Privées de mitochondries, les cellules  stromales seraient contraintes d'utiliser la glycolyse pour produire  l'énergie vitale (effet Warburg inverse). Finalement, les produits de  l'autophagie des cellules stromales et de la glycolyse (acides aminés,  nucléotides, métabolites énergétiques) seraient réutilisés par les  cellules cancéreuses adjacentes pour produire leur énergie, par  phosphorylation oxydative cette fois, ce qui rendrait possible leur  prolifération.
L'hypothèse tient debout, estime  Rodrigue Rossignol, chercheur en métabolisme cellulaire au Laboratoire  Physiopathologie mitochondriale (INSERM U688), à Bordeaux. « Plusieurs  résultats ont montré que l'effet Warburg et la production d'énergie par  les mitochondries varient selon les tumeurs ; l'effet Warburg inverse  complèterait les possibilités d'adaptation des cellules cancéreuses, de  façon peut-être comparable au soutien qu'apportent les cellules gliales  aux neurones dans le cerveau. Toutefois, le mécanisme décrit suggère la  présence d'un stress oxydatif important qui pourrait altérer les  composants de fibroblastes "digérés", d'autant plus que l'autophagie  détruit les protéines, les lipides et les acides nucléiques ; comment  ces composés sont-ils sauvegardés d'une destruction complète ?  L'autophagie est-elle incomplète ? » Pour les chercheurs américains, ce  modèle demandera une validation expérimentale plus poussée, mais peut  déjà servir de base rationnelle à de nouveaux développements  thérapeutiques visant à inhiber l'autophagie du stroma, par exemple en  ciblant la molécule ADMA, HIF1-alpha ou le stress oxydatif. Toutefois, «  aussi séduisante que paraisse cette nouvelle piste, n'oublions pas que  la caractéristique principale des cellules cancéreuses est leur  plasticité et leur adaptabilité, relativise Jean-Pascal Capp,  spécialiste du micro-environnement tumoral à l'INSA de Toulouse. La  dynamique des populations de cellules cancéreuses fait qu'elles sont  toujours capables de trouver une voie alternative lorsqu'elles font face  à une barrière soit thérapeutique, soit naturelle dans l'organisme. »
http://www.pourlascience.fr

 
 

 
 Articles
Articles
 
 
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire