La relativité à l'épreuve du décimètre

Une hauteur de 33 centimètres ou des vitesses de quelques mètres par seconde ont suffi à des physiciens pour mettre en évidence, par comparaison entre deux horloges atomiques, des effets de dilatation du temps prévus par la théorie d'Einstein.

Deux horloges identiques situées à des altitudes différentes dans le champ de pesanteur terrestre ne battent pas à la même cadence. Le temps "se dilate" ou s'écoule plus lentement pour l'horloge plus basse, soumise à un champ plus intense.

La théorie de la relativité (restreinte et générale) d'Einstein prévoit des effets qui, d'habitude, ne sont perceptibles que pour des vitesses relatives importantes comparées à la vitesse de la lumière ou pour des champs de gravitation intenses. Parmi ces effets figure la « dilatation du temps » : une horloge A en mouvement par rapport à une autre B retarde par rapport à celle-ci, et il en est de même d'une horloge A située dans un champ de pesanteur plus intense qu'une horloge B (la différence est d'environ trois secondes sur un million d'années pour deux horloges terrestres dont la différence d'altitude est de un kilomètre). Or une équipe de quatre physiciens du NIST (l'Institut américain des étalons et de la technologie, à Boulder) a réussi à mettre en évidence ces effets de dilatation du temps à des échelles bien plus petites et quotidiennes.

Chin-Wen Chou, David Wineland et leurs deux collègues ont utilisé deux des horloges atomiques expérimentales les plus précises à ce jour. Il s'agit d'horloges à aluminium, fondées sur la fréquence du rayonnement correspondant à la transition entre deux niveaux d'énergie de l'ion d'aluminium 27Al+, cet ion étant immobilisé dans le dispositif à l'aide, notamment, d'un piège électromagnétique. Les fréquences de ces horloges, de l'ordre de 1015 hertz (ou 1 pétahertz), appartiennent au domaine optique, alors que les horloges atomiques usuelles fonctionnent à des fréquences micro-ondes. Ces horloges optiques présentent des incertitudes en fréquence inférieures à 10–16 en valeur relative, environ un ordre de grandeur de moins que les horloges atomiques à césium.

C.-W. Chou et ses collègues ont réalisé deux types d'expériences sur les deux horloges, placées dans des laboratoires séparés, qu'ils comparaient en transmettant le signal optique de chaque horloge à travers une longue fibre optique. Dans le premier type d'expériences, les physiciens ont imprimé un mouvement oscillatoire à l'ion d'aluminium d'une des horloges, grâce à un petit champ électrique statique ajouté aux champs de piégeage. Le décalage en fréquence des deux horloges dû à ce mouvement, dont la vitesse moyenne était fixée entre 5 et 35 mètres par seconde environ, correspond bien à ce que prédit la théorie de la relativité. Par exemple, pour une vitesse moyenne d'oscillation de 30 mètres par seconde, le retard de l'horloge où l'ion oscille par rapport à l'autre horloge est d'environ 4 x 10–15 en valeur relative (soit un décalage d'environ un dixième de seconde sur un million d'années).

Dans l'expérience du second type, les physiciens du NIST ont placé les horloges à des hauteurs différant de 33 centimètres. L'horloge située plus bas est soumise à un champ de pesanteur légèrement plus intense, donc retarde par rapport à l'autre. L'expérience du NIST donne ici des résultats compatibles avec la relativité générale, mais ils sont moins probants étant donné la petitesse de l'effet, à la limite de la résolution expérimentale. Plus précisément, le décalage relatif en fréquence des deux horloges est d'environ 4 x 10–17.

Ces expériences suggèrent que des horloges atomiques encore plus précises, que les laboratoires ne tarderont sans doute pas à mettre au point, pourront, grâce à leur sensibilité à de petites variations du champ de gravité, trouver plusieurs applications intéressantes en géodésie (par exemple pour mesurer l'écart entre la surface terrestre et le géoïde, surface imaginaire où le potentiel gravitationnel a la même valeur en tous ses points), en hydrologie ou pour tester dans l'espace les lois fondamentales de la physique.

http://www.pourlascience.fr

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